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Trilogie Géorgienne : Ushba, Shkhara, Chacha.


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C’est la petite histoire de trois petits alpinistes français Hugo Maquair, Hugo Dherbey et Symon Welfringer ayant la soif d’aventure. C’est l’histoire de trois mythes du Caucase géorgien, l’Ushba à 4710m, le Shkhara à 5193m et la Chacha, cet alcool local a joué le rôle de narrateur pour notre expédition mais son altitude reste toujours inconnue.

Les 1000 premiers mètres de la face Sud de l’USHBA se dérobent sous mes pieds, pendu sur ce mauvais brin de rappel me balançant au mieux pour atteindre le becquet autour duquel la corde est coincée et qui empêche notre descente de continuer. Le bruit des grêlons qui s’intensifie autour de moi ajoute encore un peu de dramatique à la situation, on ne peut maintenant plus douter de la proximité de l’orage.

Un mois auparavant, nous festoyons notre arrivée victorieuse en terre géorgienne après les quelques mésaventures habituelles d’un grimpeur en expé de passage dans un aéroport : dissimuler au mieux le matos de grimpe et de bivouac, pouvant s’apparenter à une arme de destruction massive, de la vue des autorités.

L’idée est de se diriger au plus vite vers le Nord du pays et de se rapprocher du Massif du Caucase frontière avec la Russie. Pour se faire, nous choisissons un train de nuit suivi d’une journée de Marshrutka, le taxi collectif locale. Sous ses airs d’Orient express, le train nous met au fur et à mesure dans l’ambiance de notre voyage qui n’avait jusqu’à présent été que peu dépaysant. S’enfoncer dans des vallées infinies jalonnées de rivières de classe 4 à bord d’un fourgon plein à craquer, nos bagages vétustement accrochés sur le toit menaçant de nous quitter à chaque virage. Serrés à l’arrière de cette fourgonnette, nous apercevons pour la première fois l’USHBA, véritable Cervin Caucasien c’est à la vue de cette montagne que l’envie de venir ici nous est venue.

Le terminus de notre voyage se nomme Mestia, la non vétusté des lieux nous intrigue réellement. Nous avons clairement l’impression de nous balader dans Chamonix un jour d’été, les terrasses des cafés regorgent de touristes de toutes les nationalités. Rejoindre le camp de base de l’USHBA pour délaisser la civilisation et commencer notre acclimatation devient notre premier objectif.

L’Ushba se divise en deux sommets, notre projet principal se situe sur le sommet Sud, une voie rocheuse traverse les 1900m de face de manière rectiligne avec un crux de 500m de pilier bien raide, la voie Myshliaev n’a été répétée que deux fois par des équipes d’Europe de l’Est et les informations que nous avons sont bien maigres, le cheminement nous semble tout de même assez évident et les difficultés annoncées à 6c-A0 conviennent à ce que nous sommes venus chercher dans ces montagnes.

Le sommet Nord va constituer notre voie d’acclimatation. Nous prévoyons de monter environ deux semaines de vivres au camp de base pour pouvoir faire ces deux courses. La nourriture est clairement le point qui retient le plus notre attention et les quantités sont bien loin des standards actuels du « fast and light ».

Nos bagages sont soigneusement empaquetées dans trois beaux duffel bags North Face Rouge, Jaune et Noir. Malgré l’entrainement intensif des derniers mois, nous ne réussissons pas à porter tous les sacs de manière autonome c’est donc avec une certaine excitation que nous nous attelons à la recherche de mules, ces mammifères seront nos compagnons les plus intimes pour cette première partie du voyage. Depuis le village de Mestia, nous nous engageons pour une bonne journée de marche qui nous mène sur le glacier de l’USHBA où nous décidons de poser notre camp de base. Arriver à cet endroit est loin d’être anodin car après la négociation du prix des chevaux, nous voila face à cinq militaires géorgiens armés jusqu’au dents qui exigent un papier certifiant que nous n’allons pas traverser la frontière sous haute tension avec la Russie.

Ex-pays de l’Union soviétique, Géorgie et Russie sont restés en très mauvais terme et venir en Russie en passant par la Géorgie est strictement interdit. Nos itinéraires restent à peu près tout le temps sur le territoire géorgien mais viennent souvent frôler la frontière, nous décidons donc d’expliquer que nous allons seulement passer quelques jours sur le glacier par peur de nous voir interdire l’accès.

Au soir et sous nos premières gouttelettes de pluie géorgiennes nous nous lançons dans la construction du camp.

La journée du lendemain est réservée à l’approche de la face Sud de l’USHBA, de loin comme de plus près, ses 1900m nous font toujours aussi peur. C’est la première fois que nous avons l’occasion d’observer une face d’une telle ampleur et le sentiment prédominent est clairement la vulnérabilité. Plusieurs cheminement semblent possibles pour la première partie de la course qui va nous mener au pied du pilier central. Nous tombons d’accord sur les différents emplacements de bivouac et sur la durée de 4 jours d’escalade qu’il nous faudra pour arriver au sommet. La voie d’acclimatation sur le sommet Nord ne laisse aucune place à l’hésitation en terme de cheminement, c’est donc à 3h le lendemain que nous faisons nos premiers pas d’alpinisme en Géorgie. La remontée du glacier se passe sans encombre malgré les crevasses bien ouvertes. Cependant, dès que les pentes de neige se raidissent, on sent que le risque d’avalanches n’est pas au plus bas, pour ce premier jour, cela importe peu mais l’accès au sommet est défendu par une crête qui semble particulièrement avalancheuse. Nous arrivons vers 13h à l’emplacement de bivouac. Magnifique vue sur l’Elbrus qui nous domine, le temps est radieux, cette première journée était superbe.

Le risque d’avalanches nous décide à effectuer la montée du lendemain dans sa quasi totalité de nuit. Après un réveil à 23h, notre évolution est très lente et les pentes de neige qui nous surplombent ne nous donnent aucune envie d’y mettre les pieds. Finalement, ce sont les éclairs qui apparaissent au fond de la vallée qui nous font faire demi-tour. Au petit matin, nous sommes de retour sur la partie inférieure du glacier, satisfaits d’avoir échappés à l’orage qui s’enroule autour du sommet. Moins de 15 minutes plus tard, les premiers grêlons nous tombent dessus et rapidement un déluge comme nous l’avons rarement vu s’abat sur nous. Le premier réflexe que nous avons à la vue des éclairs en approche est de regrouper toute notre ferraille et de la glisser entre deux rochers. Nous courons ensuite vers un rocher plus gros pour nous abriter en dessous, on passe presque une demi-heure entassés les uns sur les autres à observer le torrent en train de se former sous nos pieds. Mouillés jusqu’aux os, nous réussissons tant bien que mal à rentrer au camp avec au passage de beaux toboggans que plus d’un canyoneur nous jalouserait. Arrivés à la tente, nous avons clairement le sentiment d’avoir passé une journée horrible avec pour seule envie, se glisser dans nos duvets humides et tout oublier. Mais le mauvais sort s’acharnait ce jour là et quelle ne fut pas notre surprise en voyant les affaires dans notre tente sans dessus dessous et notre sac disparu (le Rouge dans lequel nous avions rassemblé tout le matériel inutilisé pour l’acclimatation).

Sans lui, l’éxpé n'est plus ...

Après quelques jours passés aux côtés de la police et les militaires locaux, on commence à bien s'intégrer à la culture géorgienne à coup de CHACHA dès 8h du matin (alcool local se rapprochant franchement du débouche toilette). On les emmène même jusqu'à notre camp de base, et après plusieurs heures de recherche, on retrouve le-dît Duffel bag Rouge. Quel bonheur de sentir tous nos projets à nouveau possibles, et surtout, nous avons retrouvé le BOB de Hugo sans lequel le soleil du pays nous aurait rendu fou.

C'est donc remontés comme des grimpeurs les jours de bonnes condis à Montois-la-montagne (fameuse falaise mosellane, connue pour ses envolées de 7 à 8m exclusivement en moulinette) que nous relançons le projet SHKHARA. Nous avons en vu une répétition de la face Sud par un pilier en son centre, 2100m d'escalade mixte. Nous disposons de peu d'informations, on sait seulement que nous partons pour quatre bivouacs dans la face, au mieux.

Le lendemain, après 4h de 4x4 à vous décrocher les vertèbres une par une, nous pouvons enfin commencer notre marche d'approche. Nous sommes face à une véritable muraille haute de 2000m le mur de Bezengi, culminant à plus de 5000m. La traversée de ce géant a été un de nos objectifs mais le créneau météo est de 4 voir 5 jours maximum, nous nous contenterons donc de cette voie.

Nous nous engageons sur le glacier tortueux du SHKHARA qui nous donne du fil à retordre, en effet, le seul passage possible consiste à enjamber des lames de glaces à califourchon, (anéantissant entre autre tous nos espoirs futurs de procréations.)

C'est vers la mi-journée que nous arrivons réellement au pied de la face, le rocher s'annonce des plus fragiles. Pour cette première journée, les difficultés sont rocheuses, jusqu'au IV/V, pas extrêmes mais en grosses et avec ce rocher il faut rester bien attentif. On atteint finalement une vire rocheuse précédent de longues pentes de neige qui constituera notre premier camp.

La tente installée et la séance de gainage quotidienne validée par notre Coach fitness Lyonnais Hugo, nous pouvons avaler quelques Lyophs et se blottir dans nos duvets. Un étrange bruit, plutôt familier à vrai dire, nous réveille aux alentours de 23h. Il pleut sévèrement. On fait un check avec notre super routeur Vernay Matthieu, collègue ingénieur à Météo France : "je comprends pas, vous devriez être en plein dans le beau, vous inquiétez pas, ça va se dégager" dit-il d'un ton rassurant.

En effet, après seulement 5 heures d'attente insoutenable, les précipitations stoppent, la météo ici a ce don de faire durer le suspens, une science inexacte me direz vous. Cet évènement fait office de réveil.

Les premiers pas dans la neige laissent sous entendre une belle journée sous le thème du brassage.

Le moment où la face se raidit est clairement jouissif. Plusieurs longueurs en mixte se suivent et nous font réaliser à quel point grimper si loin de chez nous sur un itinéraire technique est plaisant. Ce plaisir s’atténue légèrement quand nous abordons la pente de neige suivante sensée nous amener jusqu’au prochain bivouac. Nous nous enfonçons à nouveau jusqu’aux coudes dans cette poudreuse de freerideurs et me vient alors à l’esprit le syndrome de la vire à bivouac, théorie comportementale développée par le grand philosophe et accessoirement alpiniste, Greg Child. C’est à dire qu’à chaque instant nous avons l’impression d’apercevoir un replat idéale pour dormir qui se dessine plus haut mais une fois arrivée à cet endroit la pente est identique. Après plusieurs heures touchés par cette maladie nous décidons finalement de creuser une belle plateforme la où la pente est la moins importante. Dormir en pleine face dans ce trou creusé par nos soins ne me plait guère mais la fatigue prend souvent le dessus dans ces moments là.

Le jour suivant est celui du sommet. Notre acclimatation semble idéale et nous avançons rapidement dans ce terrain où se suivent des longueurs de mixte jusqu’à M4/M5, un peu de glace et des pentes de neige. Le sommet se rapproche et la muraille du Bezengi wall se dessine autour de nous. Cette sensation enivrante nous pousse dans nos retranchements, grimper ces longueurs techniques au cheminent difficile à 5000m est épuisant. Nous arrivons finalement à la première antécime du SHKHARA à 5100m, le réel sommet se situe 100m sur la droite après avoir traversé une arête neigeuse. Les conditions de neige nous semblent trop instables à cette heure ci et nous ne tentons pas le diable ce jour-ci.

Ce n’est qu’à la fin du voyage que nous aurons la confirmation d’avoir fait le bon choix, quelques jours après notre passage, sur le coté russe de ce même sommet, une avalanche emportait trois alpinistes.

Après ces 5 jours en montagne et ces mauvais bivouacs enchainés, nous avions clairement le sentiment d'être vidé autant mentalement que physiquement. A notre retour à Mestia, le repas du soir s'annonçait grandiose, c'était clair, toute la carte allait y passer. L’hospitalité géorgienne n’avait pas fini de nous surprendre, les serveurs nous ont accueillis, bières servies et buffet à volonté en guise de félicitations, c'est peut-être à ce moment que nous avons commencé à réaliser que nous avions vaincu la face Sud du SHKARA et surtout la valeur de cette montagne pour les géorgiens.

Les jours qui suivirent se ressemblèrent fortement sans que cela ne nous déplaisent pour autant. Nous passions la majeur parti de notre temps dans un lit ou le fauteuil du bar et nous récupérions petit à petit nos esprits et nos cuisseaux. Les conditions météorologiques s'annonçaient de plus en plus complexes et retourner au camp de base de l'Ushba, notre premier objectif, quasiment impossible.

Nous envisagions alors de nombreux plans divers et variés, nous sommes même allés jusqu'à nous convaincre que cette première voie était bien suffisante et que nous pouvions envisager la suite de notre voyage comme des plagistes. Mais la vue de 4 à 5 jours de temps à priori sans précipitations nous remit vite sur le droit chemin.

La face sud de l'Ushba était la raison pour laquelle nous étions là, nous nous devions de tenter cette voie.

C'est donc, les batteries complètement rechargées que nous préparons nos affaires pour retourner au camp de base bien connu de l'Ushba (cette fois, nous ne laisserons pas de tente en place, et la cachette de notre matériel sera pire qu'un casse tête chinois).

Nous nous la jouons donc plus light misant sur le beau temps du créneau. Le lendemain nous sommes à pied d'oeuvre sur le glacier, jumelles au nez à guetter cette proéminence rocheuse, une question nous taraude toujours, la descente. Nos informations divergent clairement sur ce point et il va à priori falloir s'adapter aux conditions une fois en haut et prendre à ce moment une décision.

En une journée, nous réussissons à traverser le glacier ainsi que la longue arête nous menant au pied du bastion central. Il nous est clairement familier ce pilier, un Grand Capucin de 500m en plein milieu du Caucase. Sa partie droite déversante surplombe notre tente, l'ambiance est incroyable.

Le montage du camp était devenu une certaine habitude mais certaines erreurs restaient possibles. Ainsi, dans un élan de générosité, Hugo (pour des raisons d'anonymat, nous ne préciserons pas lequel des deux) laisse filer mon duvet qui s'empresse de dévaler la pente pour aller rejoindre les crevasses.

Après un réveil aux aurores et les premières longueurs de nuit, notre rythme se ralentit dans ces mauvaises fissures entre 6a et 6c où notre sac de plus de 15 kilos rend chaque mouvement extrême. Nous avons avec nous tout notre matériel de bivouac et plusieurs jours de nourriture. Nous avons peu d'expérience de ce que peut être l'éthique en alpinisme mais nous essayons au mieux de gravir ces voies en style alpin, chose qui n'avait pour l'instant pas été faite dans cette face, les alpinistes soviétiques préférant fixer les longueurs les unes après les autres.

En se rapprochant du haut du bastion, le rocher devient de plus en plus humide, l'impression de grimper en cascade de glace se fait ressentir mais les glaçons qui nous tombent dessus viennent de plus haut, un énorme orage est en train de se former sur le sommet de l'Ushba.

Le prochain bivouac est censé être proche, nous envisageons donc d’échapper à cet orage en arrivant à temps au sommet du pilier. Deux longueurs et quelques autobus de granit plus tard, il faut se rendre à l'évidence, nous n'arriverons jamais au camp supérieur avant que l’orage éclate véritablement. La grêle s'intensifie et les grondements se rapprochent, quoi de mieux pour équiper 400m de rappels sur pitons.

Le fameux pilier Sud de l'Ushba long de 600m.

Les éclairs sont là, juste au dessus de nos petites têtes, le bruit de la grêle nous force à employer le langage des signes qui nous est peu familier. Pendu sur ce mauvais brin de rappel, les 1000m premiers mètres de la face Sud de l’Ushba se dérobent sous mes pieds.

Vue sur la face du Shkhara depuis le camp de base.

Un grand merci à la Fédération Française de la Montagne et de l'Escalade qui grace à sa bourse de soutien des jeunes alpinistes, nous a permi de faire ce voyage.

Merci également au magasin Chullanka de Toulouse qui nous a soutenu sur ce projet.


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